![]() |
cliquez pour élarger | Photograph par Peter Rasberry - Kitchener, ON. |
Par Karl Backhaus
Mes premières rencontres avec les serpents
L’histoire de ma découverte des serpents est très précieuse à mes yeux, car le sentiment de grande peur qui en a marqué le début a tourné en amour au dénouement. Pour ma femme, Elke, et moi, rien ne pouvait être pire que de rencontrer un serpent. N’y connaissant rien, nous avions hérité de la peur commune et avions horreur de ces animaux à l’époque de notre premier été à la propriété que nous venions d’acquérir. En Allemagne, les serpents sont rares, alors nous ne nous attendions pas davantage à en trouver ici. Nous nous sommes demandé où nous avions abouti : des serpents surgissaient sans cesse, comme s’ils tombaient du ciel. À chaque fois que nous en apercevions un, il prenait peur et s’enfuyait vers l’eau.
Il s’agissait visiblement de couleuvres aquatiques; elles pouvaient nager très vite dans l’eau ou à sa surface. Elke avait peur de s’aventurer dans l’eau, car les serpents pouvaient apparaître à tout moment. Elle voulait que je nous en débarrasse. Sa demande me sembla d’abord judicieuse.
Armé d’un râteau pour les tenir à bonne distance, je ne tardai pas à en voir un sur la pelouse pour la première fois. Je l’attrapai et le tuai avec le râteau dans ce qui fut un drame affreux. Cela me troubla tant que je dis à Elke : « C’est fini – je préfère vivre avec des serpents plutôt que d’en tuer un autre. » Et c’était fini. Elke n’était pas heureuse de mon refus de tuer les serpents, mais elle non plus ne voulait pas les tuer.
D’une manière ou d’une autre, il nous fallait apprendre à tolérer ces serpents – mais pourrions-nous disposer de notre propriété comme il nous plairait? Comme si une plaisanterie cosmique voulait que cela ne s’arrête pas là, nous n’avons pas tardé à rencontrer d’autres types de serpents.
Certains étaient jaunes avec des bandes noires; d’autres étaient verts. Qu’allions-nous apercevoir encore? Je dus faire quelques recherches pour savoir si l’une ou l’autre de ces espèces de serpents était dangereuse. À notre grand soulagement, aucune n’était venimeuse. Nous pouvions nous détendre un peu, mais nous ne réjouissions pas d’avoir tous ces serpents sur notre terrain. Si nous voulions conserver notre propriété, nous n’avions guère d’autre choix que d’accepter qu’ils fassent partie du décor.
Mon changement d’attitude à l’égard des serpents
Pendant une période qui s’échelonna sur plusieurs années, je tentai de surmonter mon aversion. Comme premier pas vers l’acceptation des serpents, je commençai à les observer à distance sûre. Cet exercice me rendit plus confiant. Je mis cependant encore beaucoup de temps avant d’en venir à ne plus avoir peur des serpents, puis à les aimer véritablement.
À mesure que mon sentiment et mon attitude à l’égard des serpents changeaient, leur comportement changeait également. Ils semblaient se montrer plus amicaux et ne prenaient plus la fuite d’une manière irrationnelle et imprévisible. Ils savaient qu’ils n’avaient rien à craindre et ils finirent par ne plus prêter attention à nous, ni à notre chien, Pax, à qui j’avais signifié de les laisser tranquilles.
Nous pouvions désormais les observer près du quai lorsqu’ils plongeaient au fond de l’eau pour y chasser des poissons. Nous pouvions même les voir s’accoupler sur notre quai, qui était devenu leur lieu de prédilection. Lors d’une cérémonie d’accouplement qui dura des heures, au début de l’été, une femelle de grande taille et trois ou quatre mâles plus petits restaient là, entrelacés.
Le quai était fréquemment occupé par des serpents; ils s’y chauffaient au soleil pendant des heures. Un jour, je voulais moi aussi y prendre un bain de soleil. En descendant lentement les marches qui mènent au quai, je vis un serpent. Il resta immobile, même lorsque je passai devant lui; il ne sembla pas inquiet.
Me sentant un peu audacieux, je m’installai à quelques pas du serpent. Rien ne se produisit; le serpent resta paisiblement où il était. Cela rompit la glace : à partir de ce moment, pendant de nombreux étés, il semblait tout naturel de prendre des bains de soleil sur le quai en compagnie d’un serpent. Parfois, nous nous endormions tous les deux. À l’occasion, je touchais un serpent d’un doigt, ce qui lui faisait cambrer le dos de plaisir. Contrairement à ce que croient certains, les serpents ne sont pas visqueux, mais doux au toucher.
J’ai l’impression que les serpents aiment les gens. Si c’est le cas, ils doivent être bien déconcertés lorsqu’ils butent contre la peur et la haine.
Aujourd’hui, il m’arrive de me promener sur la terre et de n’apercevoir pratiquement aucun serpent. Ils ne bougent pas, alors je dois prendre garde de marcher sur eux par inadvertance. Les serpents doivent tous savoir que je les aime et les protège. Ils semblent même reconnaître mes pas. C’est ce qui m’est apparu lors d’une visite de mon amie Lynne. Elle se mettait dans tous ses états à l’idée de rencontrer des serpents. Pour la rassurer, je lui ai dit que je marcherais devant elle lorsque nous longerions le lac, et qu’il n’y aurait aucun souci à se faire.
Enhardie après avoir parcouru une petite distance, Lynne oublia qu’il était préférable de rester derrière moi. Soudainement, à un endroit où je n’avais encore jamais vu de serpent, il en surgit un gros devant elle; il prit immédiatement la fuite. Pour quelqu’un qui n’avait pas l’habitude, cela a dû être effrayant. Avant que je puisse réagir, Lynne se tenait à mon cou, transie de peur, n’arrivant même plus, pour un moment, à s’exprimer clairement.
Cet incident, un exemple parmi beaucoup d’autres, m’a donné l’impression que la peur d’un animal attire en fait cet animal. J’avais déjà constaté qu’il en était ainsi avec les chiens et les chats, mais il semble que cela s’applique à tout le règne animal. Les animaux peuvent nous apprendre à vaincre la peur lorsque nous reconnaissons et acceptons le rôle qu’ils jouent.
Séance curative en compagnie d’un serpent
Étant toujours prudent lorsque j’abats des arbres, c’est à ma grande surprise qu’un jour un orme mort de 12 mètres me tomba accidentellement sur le pied gauche. Immédiatement, mon pied se mit à enfler comme un ballon. C’était un miracle qu’il ne fût pas cassé.
Trois jours plus tard, mon amie Joanna me rendit une visite surprise. Joanna est une personne forte et pragmatique; elle mesure 1,5 mètre et sourit toujours en formant deux grandes fossettes. Elle est également une guérisseuse qui pratique l’imposition des mains. Joanna est arrivée par une magnifique journée d’été, propice pour passer du temps ensemble sur le quai. Elle a tenu sa main sur mon pied endolori jusqu’à ce que la douleur soit presque disparue.
Après peut-être une heure ou deux, Joanna me demanda : « Où sont les serpents? Je n’en ai vu aucun. » À cet instant même, je remarquai une assez grosse couleuvre aquatique enroulée près de Joanna, immobile. Je répondis : « Regarde à ta gauche. » Joanna n’a pas peur des serpents; elle a seulement souri lorsqu’elle a constaté sa présence. J’avais l’impression que ce serpent faisait partie de notre cérémonie de guérison.
Le soleil déclinait et les ombres s’allongeaient déjà, et nous étions toujours sur le quai avec le serpent. C’est alors que survinrent deux hommes du Service des forêts qui souhaitaient savoir si j’avais des castors. Lorsque Joanna et moi nous sommes levés pour aller accueillir les deux hommes sur la terrasse surélevée, le serpent était toujours avec nous.
Les hommes étaient perplexes devant la présence de ce serpent immobile près de nous. Je leur ai expliqué qu’il s’agissait d’un serpent amical. Lorsque je redescendis les sept marches menant au quai et passai devant le serpent pour récupérer ma tasse de thé, celui-ci ne bougea toujours pas. Ce spectacle inhabituel accrocha le regard des deux hommes, qui firent quelques commentaires badins. Ce n’est qu’à ce moment que le serpent commença à se délover et à glisser doucement dans l’eau.
Les serpents sont devenus de vrais amis
L’été suivant, j’eus trois visiteurs d’Allemagne : Karin, Ursula et Werner. Ils étaient fascinés de voir qu’une grosse couleuvre aquatique se reposait sur le quai, près de la maison. Je leur mentionnai que ce serpent était mon ami et qu’il se délassait souvent sur le quai. À distance, Werner prit une photo du serpent. Nous nous sommes ensuite installés sur la plate-forme adjacente, située sept marches plus haut. Nous y avons joué à un jeu que j’avais inventé, et nos éclats de rire faisaient tout un tintamarre. Ce n’est qu’à la fin de la partie que nous avons remarqué que le serpent était monté nous rejoindre et s’était installé à quelques pas de notre petit groupe de joyeux compères. Werner prit une autre photo, de près cette fois-ci.
Même après le départ de mes visiteurs, complètement détendu, le serpent était resté sur la terrasse qui jouxte mon salon, où je n’avais jamais vu de serpent auparavant. Plus tard, lorsque je retournai sur la terrasse, le serpent était parti. J’en vis seulement un plus petit qui se reposait sur le quai. Je m’étendis près de lui un moment et contemplai mon périple avec les serpents, de la peur intense que j’avais au début à un tel dénouement heureux. Je suis convaincu que mon amitié avec les serpents sera durable.
Bien que je n’aie pas l’expérience de serpents venimeux, je ne vois aucune raison pour laquelle ils réagiraient différemment aux pensées favorables et aimantes. Si nous rencontrons un serpent agressif, nous devrions nous rappeler que c’est la peur que nous portons en nous qui le rend agressif. C’est nous qui déterminons quelles rencontres nous allons faire.
Une relation qui ne se dément pas
—Histoire récente qui s’est produite après la publication de Magical Moon Lake
Il y a bien des années, avant que je découvre le comportement des serpents, j’étais parti faire de la randonnée de montagne en Utah. Je me retrouvai devant une clôture accompagnée d’un panneau qui disait : « Au delà, il y a des serpents à sonnette. » Me disant qu’il ne pouvait y en avoir tant que ça, j’escaladai précautionneusement la barrière. Je n’étais même pas descendu de l’autre côté que j’entendis tinter le grelot d’un crotale sur lequel j’avais failli mettre le pied. On ne sait pas avec quelle rapidité on peut franchir une clôture. J’étais heureux d’être à nouveau en sûreté.
Quelques années plus tard, j’ai reçu un exemplaire du livre Kinship with all Life, de J. Allen Boone, un livre que je recommande fortement. J’y ai lu l’histoire d’une femme qui apprivoisait les serpents venimeux au comportement le plus féroce. Elle y arrivait en très peu de temps, en les respectant et en les inondant de pensées aimantes. On disait que les serpents à sonnette n’attaquaient jamais les Autochtones. Seuls les gens qui sont imbus de peur, d’ignorance et d’irrespect font des rencontres mortelles.
C’est bien beau de lire des livres qui expliquent qu’on peut surmonter la peur, mais la réalité peut se révéler différente.
Je voulais découvrir par moi-même ce qui avait enclenché le processus qui m’avait mené de la peur à l’amour des serpents. La difficulté serait peut-être plus grande avec des serpents venimeux, mais il n’y en a aucun là où j’habite.
Ma véritable épreuve eut lieu en 2008. J’étais alors en Australie, le pays où l’on trouve les serpents les plus venimeux du monde. On me mit en garde contre l’agressif et venimeux serpent tigre. Lors d’une randonnée solitaire dans une forêt spectaculaire de Tasmanie, une forêt dont les arbres atteignent jusqu’à 45 mètres de haut, soudainement, à trois pas sur ma gauche, je remarquai un très gros serpent noir, brillant. C’était un serpent tigre, et il était magnifique. En dépit des mises en garde, je n’eus pas peur, car je connaissais la mentalité des serpents; je lui parlai de sa beauté et envoyai des pensées aimantes authentiques. Je le regardai pendant un moment. Il était détendu. Après un certain temps, il s’éloigna tranquillement et se retira sous une grande fougère, à environ cinq mètres. Quel sentiment merveilleux!
Les 168 pages de Magical Moon Lake sont remplies d’aventures étonnantes mettant en scène les animaux de la terre de Karl Backhaus, dans le comté de Grey. Découvrez des sittelles, des porcs-épics, des poissons et beaucoup d’autres animaux, et voyez quels moyens naturels Karl adoptent à l’égard d’espèces « nuisibles » comme les mouches et les fourmis.
Pour commander un exemplaire de Magical Moon Lake (en anglais), vous pouvez communiquer avec Karl en téléphonant au 519-794-3140 ou en écrivant à moonlakepublish@netscape.net. On peut obtenir un exemplaire de l’édition à reliure sans couture, épuisée, pour le prix de 22 $ plus les frais d’expédition. Des exemplaires agrafés sont disponibles pour 13 $ plus les frais d’expédition, ou 10 $ plus les frais d’expédition si vous en achetez trois exemplaires ou plus.