Sara Chesiuk
On trouve au Canada trois des six sous-espèces de bécasseaux maubèches : C. c. rufa, C. c. roselaari et C. c. islandica. Les bécasseaux maubèches de la sous-espèce rufa effectuent des migrations plus longues que celles de leurs congénères des autres sous-espèces. Ils parcourent 30 000 kilomètres par année entre leurs sites de reproduction dans l’Arctique canadien et leurs aires d’hivernage à la Terre de feu, en Amérique du Sud. Malgré la ténacité de ces petits oiseaux, des facteurs tels qu’une disponibilité réduite de leur habitat et les changements climatiques ont entraîné la décroissance de leur population, qui est passée de 52 000 individus à 15 000 depuis 2000, ce qui a valu à cette sous-espèce le statut « en voie de disparition ».
Le Programme pour les espèces en voie de disparition de la Fédération canadienne de la faune accorde 27 000 $ à M. Allan Baker afin que lui et son équipe puissent déterminer le succès de reproduction annuel des bécasseaux maubèches de la sous-espèce rufa et compter la proportion de jeunes qui viennent s’ajouter à la population, un travail fondamental pour aider les bécasseaux maubèches à se rétablir. Les recherches seront menées dans la réserve de parc national de l’Archipel-de-Mingan, où les bécasseaux maubèches de la sous-espèce rufa font étape à l’automne pour prendre des forces en vue du long vol qui les amènera d’une traite en Amérique du Sud.
Un appétit d’oiseau?
Dans le cas des bécasseaux maubèches, plus on est gros, mieux c’est. Comme les bécasseaux maubèches de la sous-espèce rufa ont un long trajet devant eux avant d’arriver à leur refuge d’hiver, ils doivent absolument s’engraisser au préalable. Lors de leur dernière étape printanière, dans la baie du Delaware, ils se repaissent principalement d’œufs de limules, mais ces dernières années, en raison de la surpêche dont ont été victimes les limules, autrefois abondants, les bécasseaux claquent du bec. Étant donné que les limules atteignent leur maturité sexuelle à l’âge de huit ou neuf ans, le rétablissement de la ressource alimentaire semble invraisemblable à court terme. Qu’est-ce que cela signifie pour les bécasseaux maubèches? D’après le Comité sur la situation des espèces en péril au Canada, la diminution de la nourriture dont ils disposent signifie que les bécasseaux maubèches pourraient ne plus avoir les forces nécessaires à leur voyage vers l’Arctique. De 1997 à 2002, par exemple, on a constaté une diminution de 70 p. 100 de la masse corporelle des bécasseaux maubèches de la sous-espèce rufa au moment de leur départ. La survie des adultes et le peuplement par les jeunes s’en sont gravement ressentis entre 2000 et 2002; le taux de survie des adultes est passé de 85 p. 100, pour la période de 1994 à 1998, à seulement 56 p. 100, pour la période de 1999 à 2001.
Oiseau rare
Le bécasseau maubèche est un oiseau extraordinaire par plusieurs aspects, particulièrement en ce qui a trait à la reproduction. À la fin de juin, les bécasseaux maubèches de la sous-espèce rufa déposent leur couvée de quatre œufs dans un nid établi dans des espaces arides, par exemple des corniches, des pentes et des plateaux venteux. La période d’incubation dure 22 jours; le mâle et la femelle, monogames, se relaient à la tâche. Peu de temps après l’éclosion, les femelles commencent leur migration vers le sud, alors que les mâles restent avec les jeunes jusqu’à ce qu’ils puissent voler. Environ 18 jours plus tard, les jeunes sont autonomes et les mâles commencent leur voyage vers la Terre de Feu, suivis, une à trois semaines plus tard, par leur progéniture. En plus du site de nidification et de la responsabilité partagée des parents à l’égard de la couvée, ce qui singularise les bécasseaux maubèches de la sous-espèce rufa, c’est leur retour, chaque année, dans la même grande aire de reproduction. Cette aire de reproduction se situe entièrement dans la partie centrale de l’Arctique canadien; ce n’est cependant pas l’endroit où il est le plus facile de se faire un petit nid douillet avec l’oiseau qu’on aime, et cela pourrait même mettre en péril le succès de reproduction. Comme on s’attend à ce que la limite méridionale des régions arctiques recule vers le nord, les bécasseaux maubèches seraient parmi les espèces les plus menacées.
Pertinence des recherches de M. Baker
La réserve de parc national de l’Archipel-de-Mingan, dans l’Est du Québec, est une découverte importante pour le rétablissement des bécasseaux maubèches. La réserve offre aux oiseaux migrateurs une vaste étendue où ils peuvent faire étape; c’est ainsi un endroit idéal pour observer les bécasseaux maubèches de la sous-espèce rufa. En 2006, Parcs Canada et une petite équipe québécoise du Service canadien de la faune ont commencé à mener des études de terrain visant à dénombrer les oiseaux de rivage dans la réserve; ils se sont intéressés particulièrement à la population de bécasseaux maubèches en voie de disparition. Dans le but d’élargir leurs études sur le terrain relativement aux bécasseaux maubèches de la sous-espèce rufa, M. Baker et son équipe se sont associés en 2007 au groupe mis sur pied au Québec.
Les recherches de M. Baker visent à montrer l’importance de l’archipel de Mingan en tant que site où les bécasseaux maubèches peuvent reprendre des forces lorsqu’ils quittent l’Arctique canadien, déterminer si la saison de reproduction a été réussie, estimer le nombre de couples qui ont eu une couvée, estimer le taux de natalité et, enfin, mettre en évidence des caractéristiques migratoires propres aux mâles ou aux femelles à partir des arrivées et de la durée de séjour des oiseaux dans l’archipel. Les résultats des recherches de M. Baker revêtent une importance fondamentale dans la perspective du rétablissement des bécasseaux maubèches.