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Peut-on parler d’infestation porcine dans les Prairies?
Les sangliers sauvages prolifèrent aux États-Unis, et c’est en train de virer au cauchemar. Le chercheur Ryan Brook croit que les problèmes sont sur le point d’apparaître ici aussi.
Par Cooper Langford
Quand Ryan Brook observe ce qui se passe aux États-Unis, au Texas en particulier, il constate une menace potentielle pour les Prairies canadiennes : les sangliers sauvages. Cette espèce non-indigène, prolifique, a envahi cet État du sud et résiste aux efforts d’éradication. Les porcs sauvages causent des millions de dollars de dommages à l’agriculture, détruisent les habitats fauniques et les gestionnaires en parlent comme d’un « déraillement écologique ».
Mais pire, leur population, autrefois limitée à certaines régions des États-Unis, s’est répandue dans le pays en quelques décennies, ce qui crée des maux de tête de gestion d’envergure nationale. Brook, professeur d’agriculture à l’Université de la Saskatchewan, s’inquiète de l’apparition de problèmes similaires au nord de la frontière, alors que les preuves s’accumulent que les populations porcines dans les Prairies semblent destinées à une croissance rapide.
« Nous assistons aux premières phases de ce qui pourrait devenir un problème majeur », dit Brook. Mais à cela s’ajoute un défi. « On n’a pas encore effectué de recherche ou d’inventaire du phénomène. Alors, on n’en est qu’au tout début pour essayer de réfléchir à la question. Le plus gros problème, c’est que nous ne connaissons pas le problème. »
Pour pallier le manque de données, Brook mène des recherches sur les sangliers sauvages en Saskatchewan — et tire le signal d’alarme pendant qu’il est encore temps de gérer le problème efficacement. La menace est déjà évidente, alors que des producteurs agricoles rapportent que les sangliers harcèlent le bétail dans certains secteurs. Le gouvernement de la Saskatchewan a aussi reconnu le problème et a ajouté le sanglier à la liste des espèces nuisibles pour lesquelles les fermiers peuvent réclamer des dédommagements.
Personne ne sait comment les choses évolueront maintenant, mais la biologie de la race porcine suggère que sa population pourrait augmenter rapidement.
Originaires d’Eurasie et importés dans les Prairies au cours des dernières décennies pour diversifier le cheptel agricole, les sangliers sauvages sont reconnus comme... de chauds lapins! Les laies peuvent porter deux litées chaque année, de six marcassins en moyenne. Les adultes s’adaptent facilement à divers habitats, y compris les forêts et les marais. Ce sont de voraces omnivores, dont le régime comporte des plantes, des racines et des charognes. « Vous devriez voir à quoi ressemblent certains terrains après qu’ils soient passés, dit Brook. On dirait qu’on a passé le rotoculteur. »
C’est une véritable menace pour les agriculteurs, dit Brook, rappelant que les populations de sangliers ont vu le jour quand des animaux se sont échappés de captivité ou, dans certains cas, quand on a relâché des individus en vue de la chasse sportive. Ils constituent aussi une menace pour la faune. On sait que les sangliers peuvent chasser d’autres espèces pour se nourrir et peuvent détruire des habitats. En nombre suffisant, ils peuvent repousser des espèces indigènes de leur territoire.
Pour mesurer la portée de la menace, Brook mène une recherche en deux volets dans sa province. Le premier volet comporte la surveillance par un réseau de caméras de divers sentiers pour dénombrer les sangliers, connaître leurs déplacements, obtenir des données sur la reproduction et déterminer leur impact sur d’autres espèces comme les orignaux, les wapitis et les cerfs. Il travaille aussi avec l’Association des municipalités rurales de la province pour obtenir des observations de terrain de la part des résidants et pour lancer la discussion sur les options de gestion que les gens concernés pourraient considérer comme nécessaires. Brook espère aussi lancer un projet pilote avec des balises satellites cette année.
L’objectif général est de produire une carte qui montrerait l’étendue du problème pour permettre d’élaborer des réponses. La situation dans les Prairies n’a pas du tout la gravité de ce que l’on constate aux États-Unis. Mais l’échec des tentatives d’éradication de l’infestation au sud de la frontière montre qu’il vaut mieux agir plus tôt que tard — en particulier au vu des coûts potentiels pour l’agriculture et pour la faune sauvage.
« Face à des problèmes de cet ordre, je prône une attitude proactive, dit Brook. Nous pourrions attendre d’avoir un million de sangliers dans les Prairies... mais je préférerais beaucoup que nous reprenions le contrôle avant ça. Un effort déployé suffisamment tôt pourrait vraiment constituer un bon investissement. »