Par Jay Ingram
Votre importance n’est pas toujours liée à votre taille. C’est une des histoires derrière une paire d’organismes qui ont occupé mon imagination.
J'ai deux organismes préférés. Par coïncidence, ils ont à peu près la même taille, environ 0,5 mm (visibles à l’oeil nu), ont une organisation complexe et racontent chacun un élément de l’évolution des organismes modernes.
Le premier est le Volvox, une boule de cellules verte qui nage dans les eaux des flaques printanières. Il en existe de nombreuses espèces, mais toutes sont magnifiques à regarder — des structures sphériques à la Buckminster Fuller qui tournent lentement sur elles-mêmes à mesure qu’elles avancent. Chaque sphère de Volvox est une colonie de plusieurs milliers de cellules individuelles. Il n’y a rien de particulièrement remarquable chez ces cellules — chacune d’elles est une algue monocellulaire comme le Chlamydomonas commun.
Quand elles vivent en solo, ces cellules agitent une paire de flagelles d’avant en arrière pour se déplacer, particulièrement vers la lumière. Elles vivent de photosynthèse.
Les choses se passent différemment quand des cellules solitaires comme celle-ci se réunissent par milliers pour créer un Volvox. Chacune est liée de manière permanente dans une matrice qui tient tout le globe ensemble. Si le Volvox doit pouvoir se déplacer d’une manière intentionnelle, l’oscillation de jusqu’à 100 000 flagelles doit être coordonnée. Le résultat est atteint en orientant chaque cellule dans un angle légèrement différent selon sa position sur la surface du globe et aussi en altérant le battement du flagelle. Cela fonctionne à la perfection : en avançant dans l’eau, le globe tourne lentement sur lui-même. S’il se dirigeait franchement vers vous, vous le verriez tourner patiemment dans le sens des aiguilles d’une montre.
On peut se demander comment chaque cellule sait exactement comment moduler les battements de ses deux flagelles de manière à les coordonner avec tous les autres. En fait, elles n’ont rien à savoir : la coordination est assurée par leur position et leur orientation. Retirez l’une de ces cellules individuelles hors de la colonie, laissez-la à elle-même et elle débattra des flagelles frénétiquement, mais en tournant sur place. Elle n’est plus capable de vivre isolément, elle est devenue un être de colonie.
Mais le Volvox a d’autres caractéristiques intéressantes : il existe en deux formes de cellules, reproductives et stériles. Les cellules reproductives génèrent de nouveaux mini- Volvox à l’intérieur de la colonie mère, jusqu’à ce qu’elles soient relâchées. Les cellules qui propulsent le complexe, les milliers qui sont encastrées à la surface, ont tout simplement oublié la reproduction.
On peut émettre l’hypothèse que des colonies comme celle-ci possèdent des avantages par rapport aux cellules individuelles. Par exemple, leur plus grande taille élimine certains des prédateurs qui pourraient les chasser ou, alors, la colonie a la capacité de nager plus rapidement et de s’exposer plus efficacement à la lumière.
Mais le Volvox est tout aussi remarquable parce qu’il fournit un indice majeur des premières étapes cruciales en direction de la création d’organismes multicellulaires : des cellules indépendantes qui se regroupent pour devenir parties d’un être plus grand. Mon autre favori est une créature de la même taille, mais extrêmement différente, appelée Mixotricha paradoxa. Sa forme ressemble à une chaussure et elle vit dans l’intestin d’un termite australien. Dans cet intestin, elle aspire des petits fragments de bois par son extrémité postérieure tout en nageant vers l’avant. Elle se propulse grâce à des flagelles, comme le Volvox, et si, à première vue, ils se ressemblent beaucoup, il n’en est rien.
Mixotricha possède effectivement ses propres flagelles, quatre en tout à l’extrémité antérieure, qui semblent la diriger. Mais le reste de la surface de la créature est couverte de bactéries — 250 000 bactéries filandreuses créent un mouvement de battement similaire à des flagelles et propulsent Mixotricha dans l’intestin du termite. Ces bactéries sont proches parentes de celles qui causent la syphilis chez les humains. Dans ce contexte, par contre, elles sont essentielles à la vie, plutôt que menaçantes.
Une inspection plus rapprochée de cette cellule unique révèle que d’autres espèces de bactéries ont colonisé Mixotricha. Ces bactéries adoptent différentes positions, certaines à l’intérieur de la cellule, certaines nichées à la base du « flagelle » à la surface. C’est un zoo, vraiment; une colonie, aussi, comme le Volvox, mais composée d’une foule d’organismes différents, certains sans aucune parenté.
Mais au-delà du charme bizarre de cet arrangement de vie, que pouvons-nous apprendre? La regrettée Lynn Margulis, longtemps professeure à l’Université du Massachusetts, voyait Mixotricha comme un exemple frappant d’un processus qu’elle baptisait « endosymbiose ». Elle défendait l’hypothèse que les cellules animales et végétales modernes s’étaient assemblées avec le temps à partir d’autres organismes. Par exemple, la plupart des scientifiques admettent aujourd’hui que les mitochondries d’une cellule ont déjà été des bactéries indépendantes, qui se sont installées à demeure. Margulis affirme vigoureusement l’idée que les cils et flagelles des cellules modernes ont déjà été des organismes indépendants eux aussi. Les bactéries compagnes de Mixotricha, qui forment un faux flagelle, ressemblent à un instantané de ce processus.
Deux organismes avec des histoires à raconter, qui passent inaperçus sinon des scientifiques les plus assidus. Si vous êtes comme moi, vous devez les aimer.
Ce supplément se rapporte au magazine Biosphère. Pour plus de renseignements ou pour vous abonner, cliquez ici.