Par Jay Ingram
On s’est longtemps passionné pour l’hypothèse d’une civilisation sur Mars. Ces temps sont révolus, mais la science et l’inspiration ont toujours le pouvoir de nous faire voir des mondes différents.
Si ce magazine avait existé il y a cent ans, les lecteurs auraient compris l’idée que « la faune sauvage » référait à des réalités qui dépassaient les frontières de notre planète. L’imagination scientifique de l’astronome américain Percival Lowell combinée aux fictions d’Edgar Rice Burroughs avait popularisé l’idée que, non seulement il y avait de la vie sur Mars, mais, plus encore, une vie intelligente. Les échos de cette fascination résonnent toujours, mais à peine. Cela fait partie de notre rééducation permanente à propos de la vie : ce qu’elle est, où nous pouvons la trouver et, de manière plus fondamentale, comment nous devrions la concevoir.
Même si Percival Lowell n’était pas le premier contemplateur d’étoiles à croire qu’il avait vu des signes de vie sur Mars, il est celui qui s’est emparé de l’idée. Ce que Lowell (et d’autres avant lui) avait observé était une série de lignes droites, comme un réseau de toiles d’araignée sur la surface de la planète. De cette simple observation, son imagination tira toute une saga : la planète était en train de mourir — de s’assécher, en fait — et les Martiens survivants avaient construit un vaste système de canalisations pour amener de l’eau des calottes polaires vers le reste de la planète.
L’histoire collait bien avec les changements de couleur saisonniers de la planète (l’irrigation stimulant la croissance de la végétation), la conception apparente des canaux (entrecroisés) et la décrépitude alléguée de Mars (qu’on supposait alors plus ancienne que la Terre).
Il est vrai que Lowell, observant Mars au travers de son télescope expressément construit à Flagstaff, en Arizona, voyait des canaux beaucoup plus souvent que ne le faisaient d’autres astronomes dans d’autres lieux. Mais il est important de rappeler que, même avec les lentilles d’un excellent télescope pour l’époque, Mars n’apparaissait jamais plus grosse que la pleine lune à l’oeil nu; certains ont comparé l’exercice à regarder une pièce de monnaie au fond d’une piscine. On n’a jamais complètement expliqué si Lowell voyait des canaux parce qu’il le voulait bien, ou parce que l’oeil et le cerveau humain conspirent à voir des structures là où elles n’existent pas.
Du côté de la fiction, Edgar Rice Burroughs capitalisait sur la fascination du public pour la planète rouge dans sa série de 11 livres narrant les aventures de l’Américain Johh Carter sur Mars, planète que les Martiens appelaient quant à eux Barsoom.
Lowell disparut en 1916, et ce départ s’ajouta au caractère insaisissable des supposés canaux, de sorte que l’intérêt pour les civilisations martiennes s’évanouit progressivement. Le dernier clou dans leur cercueil fut planté par le passage de la sonde américaine Mariner, au milieu des années 1960, qui montra une surface à la géologie fascinante, mais évidemment sans trace de vie.
Mais alors qu’on a mis de côté l’idée d’une vie intelligente sur Mars, Lowell serait content d’apprendre que la recherche d’autres formes de vie est engagée à pleine vitesse. Les orbiteurs et les « rovers » ont patiemment assemblé la démonstration que de l’eau liquide pourrait s’y trouver. Elle pourrait être en quantité juste suffisante, avec des matériaux organiques et une faible énergie venue du soleil, pour permettre l’existence d’une vie microscopique, en particulier des bactéries.
Cette idée n’aurait très probablement pas trouvé preneur il y a 25 ans, mais nous savons maintenant que des bactéries vivent dans les environnements les plus absurdement extrêmes sur la Terre : dans des lacs antarctiques sous des kilomètres de glace, dans des rochers au fond de puits de mine, dans de l’eau bouillante. Dans notre corps, et particulièrement notre tractus gastro-intestinal, on les compte par milliards. Il est difficile de trouver un endroit sur Terre où elles ne vivraient pas, et il en existe probablement des milliers d’espèces que nous ne connaissons pas encore.
Ces révélations ont relancé la foi des exobiologistes qui rêvent de microbes sur Mars. Et sinon sur Mars, peut-être sur Europa ou Ganymède. Alors, la vie, oui! La vie intelligente, peut-être un jour, quelque part.
La dynamique ici est un équilibre délicat entre la science et l’imagination, l’art de rêver d’un possible sous les contraintes de la physique et la chimie. Les canaux étaient tirés par les cheveux, les bactéries sur Mars le sont beaucoup moins. Mais il y a un défi : la sonde Viking a mené des expériences sur Mars, à la recherche de traces de vie. Les résultats ont été contestés, ambigus, peu concluants.
Et c’est ici que l’imagination revient dans le portrait. Sommes-nous prêts à soutenir des idées relatives à la vie qui ne seraient pas exactement semblables à ce que nous trouvons sur Terre? Il semble raisonnable que la vie sur une planète proche, compte tenu d’une histoire similaire à la nôtre, aurait besoin d’eau, de carbone, d’hydrogène, d’azote. Mais, est-ce la seule forme qui puisse exister? Carl Sagan, grand fan des aventures de John Carter de Burroughs, qualifiait ce parti pris de « chauvinisme du carbone ».
Acceptons-le : s’il n’y a pas de créatures de trois mètres et à quatre bras sur Mars, nous serons déçus. Mais si nous trouvons de la vie, même microscopique, une forme de vie qui accomplit sa magie vitaliste d’une manière encore insoupçonnée, alors la découverte sera aussi sensationnelle. J’imagine que les géants iridescents sont aussi là quelque part. Seulement beaucoup, beaucoup plus loin.
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