Par Jay Ingram
Parfois, une promenade dans les forêts canadiennes peut être risquée : il y a des ours, des couguars, des orignaux en rut, des tiques — nous avons le choix. Les oestres ne font habituellement pas partie de cette liste, à moins d’être la cible d’une projection de leurs larves dans l’oeil. C’est ce qui est arrivé à Malin Hallgren, une Suédoise qui a dû se faire retirer des larves de la cornée pour éviter qu’elles s’y accrochent et causent un dommage permanent en s’y incrustant.
Encore une histoire d’épouvante mettant en scène des parasites? Bien sûr.
Mais en fait, la reproduction des oestres est un sujet plutôt macabre : ils se mettent en vol stationnaire devant un animal (en général un cerf, un orignal ou un wapiti) et émettent un jet de larves déjà écloses à l’intérieur de la femelle.
Ce jet est dirigé vers les naseaux de l’animal, qui sont à peu près à la même hauteur que les yeux humains, comme Mme Hallgren a pu le constater.
Les larves sont littéralement éjectées hors de la femelle par le processus « d’expulsion hydraulique » (qui serait un nom fantastique pour un groupe rock d’une certaine époque). Ce processus consiste à accumuler de la pression, à la relâcher brusquement en ouvrant la buse et « bang! » les larves se retrouvent dans les naseaux du pauvre animal, où elles s’accrochent.
Elles y resteront un peu, histoire de prendre du poids puis se dirigent vers l’arrière du nez ou de la gorge.
Finalement, à leur maturité, les larves déclenchent un autre incident explosif qui provoque un éternuement muqueux et sanguinolent qui contient aussi les larves qui atteignent maintenant 4 cm et qui sont prêtes à former une chrysalide.
Tout compte fait, il n’est pas surprenant qu’on ne cite pas très souvent les oestres du caribou. Mais ils occupent une place particulière parmi les légendes entomologiques. Et cette légende vaut la peine d’être racontée parce qu’il s’agit d’une des grandes humiliations scientifiques de l’histoire.
Je m’explique.
Les oestres volent vite, mais ce ne sont pas les insectes les plus rapides.
D’après le University of Florida’s book of Insect Records, le record de vitesse en vol appartient au criquet pèlerin qui, selon des sources fiables, peut atteindre 35 km/h. Il semble que d’autres insectes volent plus vite, mais nous n’avons pas de mesures précises à ce sujet.
Il n’y a pas si longtemps, on croyait que Cephenemyia — l’oestre — volait trente fois plus vite que le criquet, assertion qui a fait long feu. L’origine de cette allégation remonte au numéro de septembre 1927 du Journal of the New York Entomological Society où Charles Townsend publia un article sur le vol en général. Il y prédisait que les aéronefs à ailes battantes « verraient le jour et surpasseraient les avions », il y discutait de la vitesse nécessaire pour voler autour du monde sans jamais voir le jour et il y analysait les structures et les muscles permettant l’attache et le battement des ailes de l’oestre.
Townsend y alla aussi d’une déclaration spectaculaire au sujet de la vitesse que les oestres pouvaient atteindre en vol : « (Sur) les sommets de 12 000 pieds du Nouveau-Mexique, j’ai vu passer près de moi, à une vélocité incroyable, ce qui étaient certainement des Cephenemyia mâles. Je pouvais à peine distinguer qu’il y avait eu quelque chose… seulement un flou animé brunâtre dans les airs, à peu de chose près de la taille de ces mouches, sans impression de forme. Aussi exactement que je puisse l’estimer, elles devaient approcher les 400 verges à la seconde ».
![]() Les oestridae → Le philosophe grec Aristote (384 - 322 av. J.-C.) a écrit à propos des oestridés, les décrivant comme « aussi gros que les plus grosses larves ». → On trouve cinq espèces d’OEstridae en Amérique du Nord, avec une distribution géographique couvrant presque tout le continent. → Lorsqu’elles sont expulsées de leur hôte, les larves d’oestres des cervidés s’enfoncent dans le sol pour se transformer en nymphes. Le processus prend entre deux et trois semaines. → Les oestres des cervidés ont la vie courte. Les adultes n’ont pas de bouche et doivent s’accoupler rapidement après leur phase nymphale. → La viande du gibier hébergeant des larves d’OEstridae peut être consommée sans danger. ![]() |
C’était de la bonne publicité, bien que Townsend ait dû regretter de ne pas avoir vérifié plus rigoureusement ses hypothèses. En 1938, dans un article de la revue Science, Irving Langmuir, prix Nobel de physique, posa une simple question au sujet de la vitesse présumée de l’oestre en vol : « Est-ce vraiment plausible? » Il poursuivit en démolissant rondement l’allégation de Townsend.
Langmuir estima d’abord que la friction de l’air à des vitesses supersoniques équivaut à une demi-atmosphère, assez pour écraser la tête de la mouche. Pour générer assez d’énergie pour voler à cette vitesse, il calcula que la mouche devrait consommer une fois et demie son poids en nourriture chaque seconde.
Et le facteur de flou? Les expériences scientifiques peuvent être très simples : Langmuir fit tourner autour de sa tête un morceau de métal de la grosseur d’une mouche attaché à un fil et constata que le flou commençait à se produire à aussi peu que 21 km/h. À 42 km/h, on ne le voyait presque plus et à 100 km/h, il était complètement invisible. Il estima donc plus raisonnablement la vitesse de l’oestre en vol à 40 km/h.
Et c’est aussi bien comme ça. Si vous vous faisiez frapper par une de ces bestioles à 1 300 km/h, vous recevriez un projectile d’environ 140 kilogrammes, qui pénétrerait profondément dans votre chair. Ça pourrait même être pire que de recevoir un jet de larve… bien qu’on puisse laisser à Malin Hallgren le soin de faire ce choix.