Par Cooper Langford - Photographe : Nathan Elson
Dans le sud-ouest de l’Alberta, la route 22, dite Cowboy Trail, traverse les territoires d’élevage qui longent le piémont des Rocheuses, du côté est. C’est une région fameuse au Canada, où la vie et l’histoire des Prairies côtoient les attraits touristiques que sont les panoramas magnifiques et les villes pittoresques.
Mais aussi spectaculaire que soit cette contrée aux horizons immenses, une de ses ressources les plus précieuses se trouve sur le sol : la fétuque scabre qui, autrefois, nourrissait les troupeaux de bisons des prairies et qui est maintenant la base de l’industrie de l’élevage dans les ranchs d’Alberta.
Autrefois, les graminées indigènes s’étendaient partout à travers les Prairies. Mais aujourd’hui, une grande partie de cet habitat est perdu, altéré ou fragmenté à cause de diverses formes d’exploitation du territoire. Étant donné l’économie florissante de l’Ouest canadien, la pression se fait plus forte, ce qui inquiète non seulement les protecteurs de l’environnement, mais aussi les éleveurs qui gagnent leur vie grâce à une gestion serrée et à la préservation des pâturages.
« Ce sont des prairies à graminées indigènes, et nous voulons les garder ainsi », dit l’éleveur Tim Nelson. « Nous ne voulons pas de développement, de lotissement ou de mise en culture du territoire. »
Nelson fait plus qu’énoncer une opinion : il parle aussi d’action. En tant que président de la coopérative Waldron Grazing, une organisation qui compte 72 membres, propriétaires de 12 000 hectares de pâturage (12 km2) chevauchant la Cowboy Trail, il a joué un rôle déterminant lors de la négociation d’un accord de principe avec l’organisme Conservation de la nature Canada.
Cet accord, annoncé en septembre, inscrira une servitude dans l’acte de constitution de la coopérative, qui empêchera tout propriétaire futur de développer, de lotir ou de cultiver la terre dans ce qui est l’un des plus grands habitats de prairies à graminées qui subsistent au Canada. Cette servitude provoquera une dépréciation pour les éleveurs, qui verront la valeur de leurs terres baisser de 75 à 33 M$ avec les restrictions. Cependant, cette perte sera compensée par un paiement de 15 M$ de la part de CNC, en plus d’une réduction substantielle d’impôts.
De plus, comme le note M. Nelson, cette servitude (la plus importante de son genre dans toute l’histoire du Canada) est le reflet de l’objectif de conservation du territoire des éleveurs eux-mêmes. « Nous sommes des écologistes pragmatiques », dit-il. « Nous devons nous assurer que l’herbe est bonne, sinon, nous sommes incapables d’engraisser notre bétail. »
En effet, la coopérative Waldron, fondée en 1962, est reconnue tant au niveau provincial que fédéral pour ses pratiques d’économie durable, notamment la gestion des rives des cours d’eau, la lutte aux espèces envahissantes et le contrôle des déplacements du bétail afin de s’assurer que la fétuque puisse se rétablir après le pâturage. Et l’effort en vaut la peine, selon Nelson. La fétuque scabre est une graminée importante pour l’écosystème des Prairies.
Son évolution adaptative l’a rendue apte à se régénérer après les sécheresses périodiques de la région. Son système de racines profondes aide le sol à conserver l’humidité, et ses longues tiges conservent mieux les nutriments que les autres espèces, ce qui fait de la fétuque une plante fourragère recherchée tant par les animaux sauvages que domestiques.
De plus, les prairies à graminées sont des écosystèmes importants au Canada, qui procurent un habitat pour plusieurs espèces d’oiseaux qui nichent au sol, et pour des mammifères comme le wapiti, l’orignal, le couguar et le cerf de Virginie. La servitude qui s’attache aux terres de la coopérative de Waldron servira aussi à protéger les cours supérieurs des ruisseaux et des rivières qui coulent à travers les Prairies.
D’un point de vue de conservation, l’entente n’est pas parfaite puisqu’elle permet quand même l’industrie du gaz naturel et du pétrole dans la région. Mais les porte-parole de Conservation de la nature Canada ont mentionné que les impacts potentiels seront faibles du fait de la taille de la région protégée, et que la servitude leur permettra de se faire entendre.
En fin de compte, comme le note M. Nelson, la perfection n’est pas de ce monde. À l’intérieur même de la coopérative, il y a eu des dissensions avant d’en arriver à une entente qui convenait à la plupart des membres. Mais l’objectif à long terme est la protection du territoire le long de la Cowboy Trail, et c’est ce qui a été obtenu.
« Nous prenons soin de nos terres et nous en sommes fiers. »
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Tiré du magazine Biosphère. Pour découvrir le magazine, cliquez ici. Pour vous abonner à la version imprimée ou numérique ou bien acheter le dernier numéro, cliquez ici.