Par Jay Ingram
Grâce à l’aérodynamisme, à ce qu’il semble. Après des années d’hypothèses, les scientifiques démontrent que les oiseaux volent en formation de V pour aller plus loin.
À cette date, selon votre lieu de résidence, vous aurez probablement aperçu les grands voiliers en V des oiseaux migrateurs retournant vers l’Arctique, et particulièrement les bernaches. Pourquoi volent-ils en V? Plusieurs de mes amis ont émis l’opinion qu’évidemment, il s’agissait d’un enjeu aérodynamique, mais jusqu’à maintenant, cette intuition n’avait pas trouvé de fondement. Oui, on avait émis l’hypothèse que le vol en V permet d’économiser de l’énergie, mais cette assertion était extrêmement difficile à prouver. Une brillante étude du Collège vétérinaire royal vient toutefois de marquer un point : les oiseaux volent en V parce qu’ils y trouvent un gain d’énergie.
Pourquoi a-t-on eu tant de mal à prouver cette hypothèse? Nous y revenons bientôt, mais faisons d’abord une digression dans la théorie générale.
De manière intuitive, la forme en V des voiliers des grandes oies semble tout à fait logique. Les vortex générés à la pointe des ailes d’un oiseau contribuent à soulever l’oiseau qui le suit. Les
mathématiques l’avaient prédit. On a appliqué aux oies un domaine des mathématiques élaboré pour analyser l’aérodynamique es avions, et cela a permis de démontrer qu’une troupe de 25 oiseaux, volant ailes dans les ailes, peut gagner 71 % de distance de vol par rapport à des oiseaux isolés. Un groupe de neuf oiseaux permet un gain de 50 %, et même trois oiseaux ensemble obtiennent un avantage.
La raison? Chaque oie crée de la turbulence, et les tourbillons s’éloignent du bout des ailes à mesure que l’oiseau avance. L’air qui se trouve immédiatement derrière les ailes descend (c’est la
déflexion aérodynamique descendante), mais sur les côtés, juste après le bout des ailes, il monte, et rapidement.
Par contre, l’intensité de cette déflexion vers le haut s’atténue rapidement. Un oiseau qui se trouve à plus d’un mètre de distance n’en profitera pas beaucoup. Et les bénéfices ne sont pas partagés également. Une formule mathématique intitulée le théorème du chevauchement de Munk a montré que, dans un V, certains oiseaux gagnent et d’autres perdent. Les oiseaux de pointe perdent l’avantage d’avoir des devanciers qui les tirent, tandis que les oiseaux dans la formation gagnent un avantage qui leur est donné par ceux des première et deuxième positions devant eux.
La forme du voilier compte aussi. La théorie proclame que le meilleur V formerait une légère courbe avec les oiseaux des bouts légèrement à l’écart de l’axe principal, et les oiseaux d’avant légèrement en retrait par rapport à la pointe de flèche. L’angle du V devrait être d’environ 100 degrés, à peu près à l’angle formé entre votre pouce et votre petit doigt dans votre main ouverte au maximum, mais cette forme n’est pas forcément symétrique. Un voilier en V avec 10 oiseaux dans un bras et 15 dans l’autre fonctionne parfaitement avec de légers ajustements.
Il est particulièrement intéressant de savoir qu’il est plus facile de conserver la formation en V que de la défaire. Si une oie vole trop loin en avant de la formation, elle perdra la déflexion ascendante et reculera dans sa position normale. Si elle se laisse distancer de beaucoup, elle recevra davantage de cette déflexion, ce qui l’aidera à regagner sa place.
Mais tout cela n’est qu’une théorie. Même si les chasseurs à réaction peuvent économiser jusqu’à 18 % de carburant en volant en formation serrée, ils ne sont pas des oies. On ne peut installer des oies dans une soufflerie pour étudier leur aérodynamisme. Quant à les photographier en vol, cela pose toujours un problème parce qu’il est très difficile de mesurer l’angle d’un V, qui dépend de son orientation dans le plan par rapport à vous.
De sorte qu’on n’avait toujours pas réussi à prouver les avantages du vol en V jusqu’à ce que les chercheurs du Collège vétérinaire royal équipent 14 ibis chauves de transpondeurs élaborés, qui ont permis d’enregistrer chaque battement d’ailes et chaque rotation de la position du corps pendant 43 minutes sans interruption. Les résultats publiés en janvier dans Nature étaient sans équivoque : les ibis gardaient leur corps dans la position aérodynamique idéale et déclenchaient chaque battement d’ailes de manière à tirer un avantage maximum des vortex émanant du bout des ailes des oiseaux les entourant. Les oiseaux dans la formation gardaient la partie intérieure de leurs ailes dans la zone de déflexion ascendante des oiseaux les précédant, exactement comme la théorie l’avait prédit.
Une preuve encore plus forte tient au fait que, quand des oiseaux changent de position dans le V, ils se placent parfois exactement derrière l’oiseau qui les devance, dans la déflexion descendante qui ne leur est pas utile. Quand cela se produit, ils modifient leur rythme de battement d’ailes pour se désynchroniser de l’oiseau de devant et minimiser les effets négatifs.
Il apparaît donc que ces ibis, et probablement tous les autres oiseaux qui volent en V, adoptent cette formation parce qu’ils en tirent un avantage. Mais quelle est son importance? Mes amis savants diront probablement « Je vous l’avais dit ». Mais l’histoire ne s’arrête pas là. Par exemple, d’autres recherches montrent que le rythme cardiaque des pélicans ralentit quand ils volent en formation, et les recherches dans ce domaine révèlent continuellement des faits aussi étonnants. Alors, nous sommes preneurs!
Encadré
Avec tous les avantages qui sont associés au vol en formation, pourquoi ne voit-on pas le V caractéristique chez les hirondelles ou les étourneaux? Encore ici, l’analyse aérodynamique nous fournit une réponse : l’intensité de la déflexion positive derrière une aile dépend de la taille de l’aile elle-même. Plus les oiseaux sont petits, moindre est leur turbulence, et plus il faudrait que leur formation de vol soit rapprochée pour qu’ils en tirent un avantage. Il faudrait un tapis volant d’hirondelles plutôt qu’un simple V.
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