Par l’équipe de Biosphère, Photo de Guillaume Simoneau
Ça pourrait être possible. François Simard développe une nouvelle gamme de textiles en utilisant un ingrédient secret : l’asclépiade.
Tout le monde (même ceux qui n’ont suivi l’histoire que de loin) sait au moins cela : la disparition de l’asclépiade entraîne le déclin des populations de monarques, que certains estiment à 90 % au cours des 20 dernières années. En effet, ces papillons ne pondent que sur cette plante indigène commune. Mais l’asclépiade est en voie de disparition, en grande partie à cause de l’utilisation d’herbicides agricoles dans les régions de reproduction des monarques.
Et si les cultivateurs avaient une motivation commerciale à cultiver ou à préserver les asclépiades, est-ce que le tableau ne serait pas différent? Peutêtre que cette hypothèse n’est pas aussi tirée par les cheveux qu’elle le semble.
François Simard, fondateur de Encore 3, une firme de textiles de Granby, au Québec, a passé les quatre dernières années à développer des produits en fibre d’asclépiade. Et il croit possible la création d’une entreprise basée sur cette espèce supposément sans valeur commerciale, entreprise qui aurait une incidence sur la restauration de l’habitat des monarques.
François Simard, ingénieur chimique et vétéran de l’industrie textile, explique : « J’ai passé beaucoup de temps sur les fibres naturelles. Pendan que je travaillais sur le lin et sur le chanvre, on m’a mentionné une autre fibre naturelle : l’asclépiade… Nous avons fait des essais qui ont fonctionné, ce qui nous a menés à d’autres essais, qui ont fonctionné aussi. »
Encore 3 lance son premier produit à base de fibres d’asclépiade, un kit de textiles absorbants pour l’huile et les hydrocarbures, destiné à Parcs Canada. Mais le potentiel est beaucoup plus important, d’après François Simard. Les fibres peuvent être utilisées comme isolant dans des vêtements d’hiver (on prévoit le lancement d’une gamme de vêtements en 2016 sous la marque « Monark » en collaboration avec Chlorophylle, un manufacturier de vêtements de sport de Chicoutimi). Elles peuvent aussi servir dans le domaine du transport comme matériau de base de panneaux légers en composite thermoformables. L’asclépiade peut aussi être mélangée à d’autres fibres pour créer des textiles pour vêtements.
Les fibres de l’asclépiade sont creuses, donc légères, de façon à ce que les graines s’envolent dans le vent. C’est cette propriété qui prend tout son intérêt : elles sont extrêmement absorbantes, ce qui est la raison pour laquelle Encore 3 lance son produit qui comprend une trousse absorbante pour fluides pour Parcs Canada. Cette propriété en fait également un isolant efficace, idéal comme matériau de substitution pour le duvet d’oie dans les vêtements d’hiver (ce qui convient tout à fait à la philosophie de François Simard sur le traitement éthique des animaux).
De plus, les fibres d’asclépiade sont couvertes d’une substance cireuse qui repousse l’eau, ce qui les rend d’autant plus efficaces comme absorbants et dans des vêtements d’hiver, puisqu’elles restent sèches.
Pour être en mesure de satisfaire ses besoins en fibres d’asclépiade, Encore 3 a créé une coopérative de producteurs qui la cultivent de façon commerciale. Vingt producteurs se sont engagés à en cultiver au moins 10 hectares. Quarante autres sont sur la liste d’attente. Pour les monarques, le bénéfice potentiel est significatif. Chaque hectare d’asclépiade peut permettre la reproduction d’au moins 10 000 papillons. Avec plus de 300 nouveaux hectares d’asclépiade, le lancement d’Encore 3 pourrait permettre d’augmenter de 3 millions d’individus la population de monarques.
Ce sont des projections théoriques, bien sûr, mais François Simard voit déjà des améliorations : « Dans les premiers champs… ceux que nous avons plantés en 2012, nous avons vu beaucoup de monarques là où il y en avait peu avant. C’est remarquable, et nous ne faisons que commencer. »
La signification de l’innovation d’Encore 3 ne se mesure pourtant pas qu’en chiffres. Sur une plus grande échelle, Encore 3 nous prouve qu’on peut faire des affaires autour du concept de la conservation. Il est intéressant de noter que la culture de l’asclépiade est durable : elle pousse sur des terres marginales et elle ne requiert ni fertilisants ni pesticides. L’innovation est la clé de la conservation. Et Encore 3 innove tant pour la conservation des monarques que sur beaucoup d’autres fronts.
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