Par Alanna Mitchell
Notre arme secrète pour combattre les changements climatiques
Retracer la mystérieuse provenance de la malaria nous emmène dans un voyage tortueux depuis l’apparition des insectes jusqu’à la production de l’ambre dans d’anciennes forêts tropicales, en passant par la mort des dinosaures.
En termes purement humains, ce voyage est important parce que 214 millions de personnes ont contracté la maladie en 2015, une condition qui s’accompagne habituellement de fortes fièvres, de vomissements et de plusieurs semaines de léthargie.
Plus de 400 000 de ces malades sont morts, principalement en Afrique, et même si le taux de mortalité associé au paludisme a diminué au cours des dernières années, il n’en reste pas moins que 3 milliards de personnes sont menacées par une affection contre laquelle il n’existe pas d’immunité naturelle.
L’Organisation mondiale de la santé a réaffirmé récemment son objectif d’éliminer la malaria — une tâche qui sera manifestement facilitée si nous découvrons l’origine de la maladie.
C’est ici qu’intervient le travail fascinant du paléoentomologiste George Poinar Jr, de l’Université d’État d’Oregon. Poinar occupe une place dans notre bagage culturel comme l’archétype des savants de Jurassic Park de Steven Spielberg, qui clonent des dinosaures après en avoir récupéré l’ADN de l’estomac de moustiques conservés dans l’ambre.
Poinar a consacré sa vie à étudier l’ambre, non parce qu’il essaie de cloner des vélociraptors, mais plutôt pour recréer les forêts tropicales où ils vivaient. C’est une tâche complexe parce que les écosystèmes tropicaux humides tendent à se décomposer plutôt qu’à se conserver assez longtemps pour produire des fossiles. C’est pour cette raison que Poinar et ses homologues mènent leurs recherches du côté des insectes emprisonnés dans l’ambre, la résine fossilisée d’arbres tropicaux.
En premier lieu, les insectes dans l’ambre sont généralement conservés entiers, et non pas écrasés comme la plupart des fossiles entre des couches sédimentaires. Leur conservation permet souvent de visualiser une riche iridescence dans de subtils motifs. Mieux encore, la résine a souvent capturé simultanément d’autres créatures, ce qui nous fournit l’instantané d’un écosystème dans une goutte d’ambre.
Les recherches de Poinar soulèvent la controverse depuis des années. Il a découvert la première trace fossile de la malaria moderne dans un morceau d’ambre en provenance de la République dominicaine, dont l’âge est estimé entre 15 et 20 millions d’années.
En soi, cette découverte ébranlait le domaine. Les chercheurs discutaient depuis longtemps des origines de la malaria, que certains faisaient remonter à seulement 15 000 ans. Les premières infections documentées se seraient produites en Chine en 2700 ans avant J.-C. La fièvre des marais aurait pu contribuer à la chute de l’Empire romain. La découverte de Poinar reporte donc l’apparition de la maladie à une époque bien antérieure à ce que supposait la tradition.
Les dernières découvertes de Poinar, publiées dans la revue American Entomologist en 2016, la font remonter à encore beaucoup plus loin. Dans de l’ambre vieux de 100 millions d’années, il a trouvé des brûlots (des moucherons piqueurs) qui portaient des ancêtres du protozoaire unicellulaire parasite qui cause la maladie aujourd’hui.
Son hypothèse veut que la malaria moderne tienne son origine de cette époque. Tout s’articule autour du moucheron. Les protozoaires ne peuvent se reproduire sexuellement qu’à l’intérieur d’un insecte. Les insectes infectés se nourrissent du sang d’une créature vertébrée, diffusant les protozoaires paludéens chez de nouvelles victimes. L’insecte est le pivot du cycle de vie de l’agent infectieux.
Mais c’est ici que se pose le problème pour les paléontologistes dans leur quête des origines de la malaria. Ils n’ont pas réussi à décider quand les insectes sont apparus sur la planète. Dans une critique de livre parue il y a quelques années, Poinar raconte l’histoire d’un scientifique devenu tellement confus quant à la date d’apparition des insectes qu’il est allé consulter un médium pour obtenir une réponse.
Arrive le brûlot de Poinar et ses protozoaires mortels. Le chercheur croit que, parmi ses premières victimes reptiles d’il y a 100 millions d’années, se trouvaient probablement des dinosauriens. Il est possible que des espèces entières de sauriens aient été infectées et affaiblies par la propagation de la maladie. En fait, la malaria pourrait avoir contribué à l’extinction globale des dinosaures.
Un corollaire de l’hypothèse est que les insectes, les parasites unicellulaires et la contamination des vertébrés pourraient être apparus sur Terre à peu près à la même époque, les uns servant de vecteurs aux autres.
Au fil des ères géologiques, les protozoaires originaux du paludisme ont évolué pour devenir les diverses souches du Plasmodium qui causent la maladie aujourd’hui; l’évolution des insectes a produit les moustiques du genre Anophèle qui constituent les principaux vecteurs de la malaria chez les humains. Effectivement, il faut parler d’une coévolution sur de très longues périodes de temps et parmi de multiples espèces qui a permis à la malaria de devenir le fléau qui afflige l’humanité depuis plusieurs millénaires.
C’est une leçon de choses en matière de malchance. Il est possible que le fléau de la malaria ait été en jeu depuis des millions d’années, orientant l’évolution de manière silencieuse, invisible, jusqu’à aujourd’hui incompréhensible, déterminant par une seule piqûre d’insecte quelles espèces vivront et quelles disparaîtront.