Par Alanna Mitchell

Tiré du magazine Biosphère. Pour découvrir le magazine, cliquez ici. Pour vous abonner à la version imprimée ou numérique ou bien acheter le dernier numéro, cliquez ici.
Depuis sa découverte initiale il y a 30 ans à l’Île-du-Prince-Édouard, l’intoxication amnésique par les mollusques est devenue un fléau mondial déconcertant. Une nouvelle étude conclut que le réchauffement des océans est en cause.
Les symptômes inconnus sont apparus à l’Île-du-Prince-Édouard le 11 novembre 1987 et ont continué pendant des mois : vomissements, diarrhée, perte de mémoire et confusion, désorientation, épilepsie, coma. Quand l’éclosion s’est résorbée, la maladie avait frappé 153 personnes, dont trois sont décédées.
Rapidement, les enquêteurs ont découvert que toutes les victimes s’étaient régalées de moules bleues cultivées sur la côte est de l’île. Mais ils demeuraient intrigués : l’intoxication ne présentait aucun des symptômes généralement associés à un empoisonnement connu aux mollusques n’importe où dans le monde.
Un groupe de recherche mandaté par le gouvernement fédéral se mit immédiatement au travail. Tout juste cinq jours plus tard, il avait identifié une puissante neurotoxine nommée acide domoïque.
C’était la première fois qu’on retrouvait cette toxine dans des mollusques et les premiers cas d’empoisonnement chez des mangeurs de coquillages. Comment s’était-elle retrouvée dans des moules? Les enquêteurs soupçonnaient que les moules aussi avaient mangé quelque chose de toxique. Ils ont donc sorti leur filet à plancton et ont filé sur la mer. Ce qu’ils ont trouvé était angoissant : la toxine est produite par un type de diatomée, un végétal marin microscopique avec une coquille dure de silice. Il n’existe pas d’antidote et le poison n’est pas modifié par la cuisson. Les scientifiques ont nommé son effet ainsi : intoxication amnésique par les mollusques.


Le film d’horreur de 1963 « The Birds, » d’Alfred Hitchcock, a été inspiré par un événement survenu près de chez lui, deux ans plus tôt, quand des voiliers de puffins fuligineux, rendus fous par l’acide domoïque, ont attaqué les côtes de la baie de North Monterey, en vomissant des anchois.
Aujourd’hui, 30 ans plus tard, les algues toxiques (du genre Pseudo-nitzschia) ont été trouvées partout dans le monde. En Amérique du Nord, les fermetures de pêcheries pour éviter l’empoisonnement à l’acide domoïque sont devenues courantes. Au mois de mars, des hauts niveaux d’acide domoïque ont entraîné la fermeture de pêcheries commerciales de mollusques en Colombie-Britannique et au Rhode Island. La Californie a connu de telles fermetures presque chaque année depuis 2000.
On a constaté que l’acide domoïque affecte plusieurs espèces, remontant dans la chaîne alimentaire à partir des créatures qui mangent le plancton toxique. Parmi les victimes : les couteaux, les crabes dormeurs, les homards, les sardines, les anchois, les moules, les poissons osseux, les pélicans bruns et les cormorans. La toxine est aussi en cause dans des intoxications de masse chez les lions de mer et les otaries à fourrure de l’Alaska. Les nécropsies montrent des lésions à l’hippocampe du cerveau des mammifères, qui joue un rôle dans leur navigation et leur mémoire, similaires à celles qu’on retrouve chez les humains atteints de la maladie d’Alzheimer. Qui plus est, un article récent suggère que l’acide domoïque pourrait être responsable d’échouements de masse de globicéphales noirs en Tasmanie, désorientés par l’empoisonnement.
Et une étude rétrospective menée en 2012 a montré que le film d’horreur de 1963 The Birds, d’Alfred Hitchcock, a été inspiré par un événement survenu près de chez lui, deux ans plus tôt, quand des voiliers de puffins fuligineux, rendus fous par l’acide domoïque, ont attaqué les côtes de la baie de North Monterey, en vomissant des anchois.
À cause de toutes les conséquences pour la santé de la faune et du public, les scientifiques se débattent pour trouver les conditions environnementales qui provoquent l’apparition des algues. Aujourd’hui, une étude menée par Morgaine McKibben de l’Université d’État de l’Oregon et publiée dans l’édition de janvier 2017 des Proceedings of the National Academy of Sciences a trouvé la réponse. Ils y sont parvenus en retraçant les éclosions historiques (on observe les contaminations à l’acide domoïque chez les mollusques de la côte ouest des États-Unis depuis 1991) et en les comparant avec les conditions océaniques.
L’analyse a révélé pour la première fois que les éclosions d’acide domoïque chez les mollusques de la côte ouest de l’Amérique du Nord étaient liées à la température de l’eau, la chaleur provoquant des changements dans les processus métabolique et cellulaire du plancton. Plus l’eau est chaude, plus il est probable que des niveaux dommageables de la toxine se développent et plus le poison devient menaçant et omniprésent. Parmi les phénomènes climatiques qui touchent la côte ouest de l’Amérique, deux événements récurrents sont particulièrement importants : l’oscillation décennale du Pacifique et l’oscillation méridionale El Niño.
De 2013 à 2015 s’est ajouté un autre phénomène appelé l’anomalie chaude du Pacifique nordest. Chacun de ces phénomènes provoque d’importantes variations dans la température de l’eau, les courants océaniques et la dynamique des réseaux trophiques marins, qui peuvent durer des mois, voire des années. Le réchauffement hors norme qui a traversé le Pacifique nord-est en 2015 a entraîné un épisode record d’empoisonnement à l’acide domoïque parmi la faune marine.
Le problème plus général, c’est que les océans ont commencé à se réchauffer. Nous avons brûlé tellement de combustibles fossiles et chargé l’atmosphère de tellement de gaz carbonés à effet de serre que les océans ont commencé à absorber une partie de cette chaleur excédentaire. La conséquence inévitable est qu’avec le temps, l’intoxication à l’acide domoïque deviendra de plus en plus omniprésente et persistante, dévastant impitoyablement les écosystèmes.
C’est l’une des retombées imprévisibles des changements climatiques. Un monde plus chaud déclenche un petit changement dans le métabolisme d’une diatomée commune et il en résulte que des pans entiers de la vie marine se trouvent menacés par un poison encore inconnu il y a tout juste 30 ans. Il y a de quoi se poser la question suivante : qu’est-ce qui nous attend encore?