Par Jay Ingram
Les équipes d’urgence étaient sur la ligne de front pour sauver Fort McMurray d’un incendie dévastateur ce printemps. Les longicornes accompliront un travail équivalent dans la forêt.
Pour l’instant — et pour encore un certain temps —, notre attention se porte avec raison sur la tragédie humaine de Fort McMurray et la réponse de nos services publics. On abordera en temps opportun les problèmes d’environnement soulevés par l’incendie de forêt qui a détruit en partie cette ville du nord de l’Alberta, mais, à court terme, ce que veulent la plupart des gens, c’est retrouver leur vie d’avant. Ils veulent aussi retrouver leur forêt. Et alors que des centaines de milliers d’hectares ont brûlé, toute contribution à la régénération des milieux forestiers est la bienvenue. Une idée circule, qui veut que l’environnement local profitera d’une ruée des coléoptères vers Fort McMurray, attirés par l’odeur du bitume, de leurs congénères et du bois brûlé.
Parmi ces insectes se trouvent les longicornes noirs, Monochamus scutellatus, que les anglophones appellent « tar sands beetle » (coléoptères des sables bitumineux) ou encore « white-spotted sawyer » (scieurs à la tache blanche). Aussi bien les mâles que les femelles de cette espèce sont effectivement attirés par des parfums chimiques présents dans la fumée, le bois brûlé et le bitume exposé. Des récepteurs présents sur les antennes de l’insecte réagissent précisément à ces substances. Les mâles produisent aussi une phéromone détectée par les deux sexes.
Quand les femelles arrivent sur un tronc brûlé — et elles n’hésitent pas à atterrir, même si le bois est encore chaud au toucher —, les mâles sont probablement déjà là, protégeant des territoires de choix. On parle généralement des côtés du tronc, en particulier là où c’est le plus épais. Et la bagarre commence. Pour les mâles, trouver une femelle et s’accoupler avec elle n’est que le début du processus de reproduction. Une fois qu’il l’a inséminée, il essaiera de s’y accrocher, d’une manière que les entomologistes ont qualifiée de « demi-monte », au moment même où la femelle commence à creuser dans le bois sa rainure elliptique caractéristique, dans laquelle elle déposera un ou deux de ses oeufs nouvellement fertilisés.
Est-il besoin de préciser que le fait de tirer un mâle sur son dos ralentit la recherche de la femelle pour le lieu de ponte idéal? Cependant, le mâle s’accroche à la femelle pour une bonne raison. Les femelles longicornes noires ont une préférence marquée pour les mâles de grande dimension. Elles sont aussi sensibles à la qualité du territoire défendu par un mâle. Elles aiment pondre leurs oeufs dans une écorce particulièrement nervurée. Et comme on n’obtient pas toujours ce que l’on veut, elles vont s’accoupler avec plus d’un mâle.
Dans le cas présent, les premiers seront les derniers : le sperme du mâle le plus récent fertilise la majorité des oeufs. Il est donc dans l’intérêt du mâle de s’accrocher à la femelle pour empêcher ses rivaux de s’approcher d’elle. Cela n’empêche pas pour autant d’autres mâles de s’y essayer. Tyler Cobb, du Royal Alberta Museum, a déjà vu deux ou trois mâles supplémentaires empilés sur celui qui s’accrochait à une femelle.
On distingue facilement les mâles des femelles. Leurs antennes sont énormes et font parfois le double de la longueur du corps. Ils les utilisent non seulement pour détecter des odeurs attirantes, mais aussi pour affronter leurs rivaux, déployant leurs antennes comme cornes ou comme fouets.
Une fois que ses oeufs sont fertilisés, la femelle entreprendra rapidement de les déposer dans les rainures qu’elle a taillées dans l’écorce. Les larves qui en sortirontcreuseront un tunnel dans l’écorce jusqu’au cambium. Elles s’y nourriront un certain temps avant de creuser plus profondément pour s’enfoncer dans le bois lui-même.
Les larves creusent une galerie dans le bois, qui prend la forme d’un U, une des branches remontant vers la surface. Là, elle devient pupe, ou chrysalide, et émerge comme adulte au printemps.
Il est difficile d’estimer le nombre total de ces coléoptères, mais ils sont communs dans la région de Fort McMurray. Peut-être pas aussi communs que ce que vous attendriez d’un insecte qui passe la majeure partie de sa vie bien caché des prédateurs dans du bois mort. Cela tient en partie à leur comportement d’autodestruction. Parfois, les tunnels de deux larves se croisent. Quand cela se produit, l’une des larves mangera tout simplement l’autre, et d’une manière plutôt énergique. M. Cobb, du Musée royal, observe que, si vous marchez dans une forêt récemment brûlée, vous pourrez clairement entendre les mandibules en action, avec des craquements qui ressemblent à ceux d’une vieille chaise berçante.
Cependant, à Fort McMurray, c’est un son qui sera le bienvenu. Les incendies qui ont ravagé les forêts environnantes offriront un immense territoire aux longicornes. Alors que leur action est généralement un fléau pour l’industrie du bois d’oeuvre, dans le cas présent, le fractionnement des troncs carbonisés accélérera le retour de la forêt.
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